"La Pirogue" du Sénégalais Moussa Touré a remporté le Tanit d'or, récompense suprême des Journées cinématographiques de Carthage (JCC), dont la 24e édition a été clôturées samedi soir à Tunis.
Le Tanit d'or a été attribué à ce film "pour son histoire touchante et pour l'interprétation extraordinaire de chaque personnage", a annoncé le président du grand jury, le poète et dramaturge tunisien Ali Touati. "La Pirogue relate l'histoire d'une vingtaine de passagers clandestins partis de Dakar pour atteindre les îles Canaries au terme d'une traversée souvent meurtrière. Ce long métrage a obtenu aussi le prix du public.
Le Tanit d'argent a été décerné au film "Mort à vendre" du Marocain Faouzi Bensaïdi qui décrit la vie de trois voyous dans une ville portuaire au Maroc. Le Tanit de bronze est revenu au long-métrage "Sortir du jour" de la réalisatrice égyptienne Hala Lotfi relatant l'histoire de deux femmes qui prennent soin de leur homme malade. Le Prix spécial du jury a été attribué au film sénégalais "Aujourd'hui" d'Alain Gomis.
Le prix d'interprétation masculine est revenu au Jordanien Ali Suleiman pour son rôle dans "Le dernier vendredi", alors que Ciomara Morais était sacrée meilleure actrice pour son rôle dans "Tout va bien ici" de l'Angolais Pocas Pascoal. Les JCC, la plus ancienne manifestation de cinéma au sud créé il ya 44 ans, mettait en compétition cette semaine 42 oeuvres représentant 12 pays arabes et africains.
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En 1938, des prostituées participent à la révolte des Tunisois contre les autorités coloniales. "Bousculades" leur rend hommage.
Le 9 avril 1938, 10 000 hommes convergent vers le centre de Tunis pour réclamer des réformes et un Parlement tunisien. La manifestation s'achève dans un bain de sang. La Tunisie, sous protectorat français, compte ses premiers martyrs.
En quinze minutes magistrales, Bousculades installe cette tragédie dans l'atmosphère intimiste et orientaliste d'une maison close. Le court-métrage contourne la thématique banale du féminisme en mettant en scène l'implication de milliers de femmes anonymes, dont celle des filles de joie, dans la lutte pour l'indépendance. « Les années 1920-1930 m'intriguent, confie la coréalisatrice Saoussen Saya. Le rôle essentiel des marginaux a été occulté par l'histoire officielle. Réhabiliter ces femmes et ces hommes est une nécessité. »
Interpellés par l'histoire et obsédés par l'image, Saoussen Saya (26 ans) et Tarek Khalladi (34 ans) ont choisi de porter un regard croisé sur ces événements, déterminants pour la lutte pour la libération nationale. Après des études de cinéma et un premier court-métrage chacun, ils présentent Bousculades lors des Journées cinématographiques de Carthage (lire encadré). « Saoussen, auteure du scénario, est plus dans le fond et moi dans l'esthétique », explique Tarek Khalladi qui avoue, comme Saoussen, avoir été troublé par les similitudes entre le passé et le présent. « En avril 1938, on exigeait aussi des libertés et une dignité nationale. La révolution de 2011 montre que l'histoire se répète », ajoute-t-il.
Résistance
Les femmes de l'ombre sont les héroïnes de cette journée particulière qui débute dans l'indolence et l'insouciance, oscille entre la délation et la résistance pour se conclure par un massacre des militaires français venus chercher, auprès des filles de joie, le repos du guerrier après les combats.
Une image superbe enchâsse cette histoire brève et violente servie par des actrices tout en subtilité. La maison close est une caisse de résonance où le passé réveille le présent. « Dans un contexte de troubles, l'esthétique ne sert pas à produire du beau ; c'est une mise en valeur du discours », précise Tarek Khalladi.